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J’ai pris des dispositions pour que tu passes du mieux possible les deux mois de vacances qui te restent ; mais j’avoue, Rex, que je suis désappointé. Je te croyais plus de bon sens. Comment peux-tu t’imaginer, parce que tu as éprouvé une peine qu’ont connue la plupart des humains, que tu sois délié de toutes les obligations du devoir, comme si ton cerveau s’était affaibli au point que tu ne sois plus responsable de tes actions ?

Qu’aurait pu répondre Rex ? Si dans son for intérieur il était en état de rébellion contre son père, il n’avait point d’arguments à lui opposer, et, quoiqu’il eût aimé partir « pour les colonies », il se sentait obligé de réfléchir un peu plus à ses anciennes attaches. Il se leva comme si, pour lui, la conférence était arrivée à son terme.

— Ainsi tu consens à ce que je le propose ? dit M. Gascoigne d’un ton résolu.

Rex garda un moment le silence et répondit :

— J’essayerai ce que je pourrai faire, monsieur, mais je ne puis rien promettre.

Il était persuadé que son essai ne servirait à rien.

Anna, qui voulait suivre son frère, fut retenue par son père.

— Oh ! papa, s’écria-t-elle avec des larmes dans la voix quand la porte fut close, c’est bien dur pour lui. Ne vous paraît-il pas malade ?

— Si ; mais bientôt il sera mieux. Et maintenant, Anna, sois muette sur tout ceci ; qu’il n’en soit plus question.

— Non, papa. Mais pour rien au monde je ne voudrais ressembler à Gwendolen. Comment peut-on rendre ainsi les gens amoureux ? C’est bien terrible !

Anna n’osa point dire qu’elle regrettait de n’avoir pas eu la permission d’aller « aux colonies » avec Rex. Plus tard encore, elle y pensait et se disait : « Au moins j’aurais définitivement rompu avec les gants et les crinolines, et