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Rex, qui, au fond du cœur, sentait qu’il n’était pas obligé d’aller aux colonies, mais de retourner à Oxford. C’était là le point en litige.

— Tu agirais cependant ainsi, mon fils, si tu persistais dans ton projet, et si tu faisais la sourde oreille aux considérations que ma vieille expérience me suggère. Tu crois avoir reçu un choc qui a changé toutes tes idées, qui a stupéfié ton intelligence, qui ne te permet plus d’autre labeur que le travail manuel et qui, enfin, t’a donné le dégoût de la société. Est-ce là ce que tu crois ?

— À peu de chose près. Je n’aurais plus le courage de me livrer au travail pour lequel j’étais destiné ici. Je ne serai plus jamais le même que j’étais ; et, sans avoir le moins du monde envie de vous manquer de respect, mon père, je crois qu’il est permis à un jeune homme de choisir sa voie dans la vie, s’il ne fait de mal à personne. Il en est assez qui demeurent chez eux pour qu’on puisse autoriser ceux qui le désirent à se rendre où la terre est libre.

— Mais suppose que je sois intimement convaincu — et je le suis — que l’état d’esprit où tu te trouves est transitoire et que, si tu partais, comme tu en as le projet, tu t’en repentirais bientôt. N’as-tu pas assez de force de caractère pour voir que tu feras mieux d’agir d’après mes conseils, pendant un certain temps et au moins de l’essayer ? Loin d’être d’accord avec toi et de penser que tu sois libre de te faire colon et de travailler avec la bêche et la hache, je suis d’avis que tu n’as pas le droit de t’expatrier avant d’avoir tenté de mettre à profit l’éducation que tu as reçue. Je ne dis rien de la douleur que cela causerait à ta mère et à moi.

— J’en suis au désespoir, mais qu’y faire ? Je ne puis plus étudier, cela est certain, dit Rex.

— Pas à présent peut-être, mais tu peux fixer un terme.