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comme s’il n’avait jamais été malade. Anna, heureuse de ce changement, l’attendait en bas avec la plus vive impatience, et, dès qu’elle l’entendit descendre l’escalier, elle courut au-devant de lui. Pour la première fois depuis longtemps, il l’accueillit par un faible sourire, mais sa figure était si pâle et si triste, qu’elle put à peine retenir ses pleurs.

— Nannie ! fit-il doucement en lui prenant la main et la conduisant au salon.

Quand il embrassa sa mère, il lui dit :

— Quel fléau je suis pour vous !

Puis il alla silencieusement regarder par la fenêtre la pelouse et les arbustes couverts de stalactites glacées, au travers desquelles le soleil envoyait de temps en temps ses rayons, qu’Anna comparait en elle-même au mélancolique sourire de Rex. Assise auprès de son frère, elle feignait de travailler ; mais, en réalité, elle le couvait avec des yeux débordant de tendresse.

Au delà du jardin clôturé par une haie, passait un chemin que prenaient les wagons et les lourds chariots qui se rendaient aux champs et aux exploitations forestières. En ce moment on voyait passer un chariot chargé de bois de construction ; les chevaux tendaient leurs muscles, et le conducteur, tout en faisant claquer son fouet, dirigeait avec la plus grande circonspection le cheval de tête, car le moindre écart aurait pu causer un accident. Rex semblait y prêter une vive attention et ne cessa de regarder que quand le dernier tronc d’arbre eut disparu ; alors, il fit quelques tours dans la chambre que venait de quitter sa mère. Anna, voyant dans les yeux de son frère qu’il avait quelque chose à dire, prit un tabouret, alla s’asseoir devant lui et le regarda avec des yeux qui disaient : « Parle-moi ! » Et il parla.

— Je vais te dire mes projets, Nannie. Je compte aller