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AVANT-PROPOS



« Depuis Balthazar Claës, Descartes et Leibnitz, l’idée d’une langue universelle n’a pas cessé de hanter l’esprit des chercheurs. Ç’a été peut-être, avec le mouvement perpétuel et la direction des ballons, l’écueil où ont sombré le plus d’intelligences.

Son importance ne se discute plus, au siècle de la vapeur et de l’électricité, en cette époque d’activité fiévreuse, où la vie sociale, cessant d’être claquemurée comme autrefois dans le cercle étroit des frontières, doit rayonner, sous peine de mort, sur l’univers entier ; où Melbourne, San-Francisco, Zanzibar, Shang-Haï ou Batavia sont plus près de Paris, au propre comme au figuré, que ne l’étaient, pour nos pères du siècle dernier, Carpentras ou Quimper-Corentin.

Il n’est pas aujourd’hui un seul peuple civilisé qui ne soit en relations commerciales avec les trois quarts des autres peuples du monde, ce qui suppose, pour la facilité et la sécurité des affaires, que chaque négociant devrait posséder, au bas mot, soixante ou quatre-vingts langues diverses.

Inutile de dire que semblable phénomène n’existe probablement nulle part.

Il y a là une nécessité si impérieuse que, de tout temps et partout, il a spontanément surgi des moyens indirects d’y pourvoir.

Comme toujours, le besoin créait l’organe.

Ce furent le grec dans l’Antiquité, et le latin au Moyen Âge, qui unirent ainsi l’humanité pensante et lettrée. De même aujourd’hui, les divers idiomes de l’Europe se partagent, pour ainsi dire, le travail et les attributions.

L’anglais est surtout la langue du commerce.

Le français est la langue diplomatique. Il est également encore la langue de la science, de la philosophie, de l’art, celle que s’honorent, sous tous les climats, d’écrire et de parler les gens cultivés, en dépit de la rivalité de l’allemand qui, depuis une quinzaine d’années, s’efforce de lui disputer ce monopole.