Esperanto, les paroles de Bauer, d’il y a deux ans, me reviennent à la mémoire :
« Schleyer a mis trop de précipitation à publier son œuvre ; il aurait dû préalablement consulter les linguistes favorables à son idée. » Le procédé du Dr Esperanto doit avoir été tout autre que celui de Schleyer ; on s’en aperçoit, du reste, dès que l’on s’est servi plusieurs fois de son vocabulaire. Tandis que Schleyer, guidé seulement par sa haute inspiration, beaucoup aussi par son caprice, notait, au petit bonheur, d’après un vocabulaire allemand, les mots qui lui paraissaient les plus convenables et nous les servaient en guise de dictionnaire universel, le Dr Esperanto, au contraire, s’efforçait de choisir seulement les mots les plus usuels qui, combinés aux syllabes finales qu’il avait formées, donnent la dérivation du plus grand nombre possible de mots.
Ceci demande assurément à un homme une étude de plusieurs années, surtout lorsque cet homme, absorbé qu’il est par les fonctions de sa profession, ne trouve çà et là que quelques moments de liberté. Le Dr Esperanto est arrivé néanmoins à ce résultat magnifique de pouvoir prétendre écrire des livres entiers avec un millier de mots seulement, les syllabes finales comprises. Pour n’en donner qu’un exemple, le petit dictionnaire de Schleyer — cinquième édition — donne sous la lettre F quatre-vingt-huit mots ; Esperanto n’en donne que cinquante-cinq, et encore parmi ceux-ci, s’en trouve-t-il quatorze absolument indispensables qui manquent chez Schleyer ! Par contre, sur ces 88 mots, Schleyer a volapükisé 20 mots étrangers, tout à fait inutiles, les rendant même souvent méconnaissables comme : fablüd pour fabriko[1], famül pour familio, fébul pour februaro, füg pour figuro, pükav pour filologio, filosop pour 'filosofio', fiam pour firmo, fit pour fiŝo, lestæn pour flago, flad pour botelo, forn pour formo, fotogaf pour fotografio, fot pour arbaro (ar, signifie, d’après Espe-
- ↑ Le premier mot, toujours incompréhensible, est de la fabrication de Schleyer, le second, qui n’a pas besoin d’être expliqué, et qui peut être compris de tous les lettrés, est du Dr Esperanto. À présent que nous avons la Lingvo internacia, nous n’avons qu’à comparer toujours un mot de Schleyer avec un mot d’Esperanto pour pouvoir expliquer aux profanes celui-là par celui-ci.