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CONCLUSION DE L’IDYLLE.


Je suis dans ma saison de tendresses prodigues.
L’insecte avec les fleurs entretient mille intrigues.
Le morose grillon chantonne plus joyeux.
J’écarte de l’azur et brouillards et nuées,
Je ne laisse monter que ces chaudes buées
Si douces qu’on dirait des souffles d’amoureux.

— Sais-tu bien, mon ami, que cette nuit tu parles
Comme chante Idalleux le beau ménestrel d’Arles ?
Où découvres-tu donc ces propos séducteurs ?
— Raymonne, ce secret quelle femme l’ignore,
C’est sur la lèvre en feu de l’être qu’on adore
Que nous nous inspirons, amoureux et chanteurs !
Ainsi murmure Huguet, sa compagne l’écoute.
Ils font de grands détours en évitant la route,
Ils hantent les taillis et les buissons épais,
Effleurés en marchant par l’aile des phalènes,
Donnant par des baisers à leurs âmes trop pleines
Le seul soulagement qui ne lasse jamais.

Poëte, arrête-toi, car un lecteur rigide
Refuse d’épier la course de sylphide
Que firent nos époux au fond des grands bois sourds.
Mais pourtant n’en déplaise à son œil terne et louche,
Je lui dirai qu’ayant enfin choisi leur couche,
Longtemps ils ont bravé les pavots les plus lourds
Dont Morphée essaya pour chasser les amours ;
Et l’aube les trouva la bouche sur la bouche,
Endormis, il est vrai, mais s’embrassant toujours !