Page:Eekhoud - Les fusillés de Malines, 1891.pdf/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
LES FUSILLÉS DE MALINES

de couples épris vaguent et s’attardent indéfiniment. Il semble qu’en communiant les paysans se sont approchés d’un sacrement nouveau, plus extrême que l’onction et plus lustral que le baptême, sacrement qui purifie et qui sublimise tout. En conversant, les patauds revêtent une indicible élégance d’allures. Leur parole si volontaire et si farouche il y a quelques instants encore, serpente en irrésistibles flexions qui s’insinuent dans l’âme et s’inoculent sous la peau. Et, sans qu’ils y fassent allusion, même lorsqu’ils parlent d’autre chose, surtout lorsqu’ils ne parlent pas, le proche danger nimbe ces fronts halés d’une clarté héroïque, affine ces visages mafflus, dégourdit les membres, équarrit les bustes, fait saillir ces traits et ces formes, palpiter ces narines ; la prédestination illumine ces prunelles, oint l’incarnat des lèvres d’un chrême occulte et parfumé. Ainsi qu’une fleur prête à s’effeuiller, comme un fruit mûr oscillant à la branche, leur complexion menacée semble plus chaude, plus friande et plus désirable. À la fois ravies et anxieuses, les aimées traversent des alter-