Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
La Guigne


Ah ! que c’est beau là-bas ! Tu m’y mènes, veux-tu ? »
Disait à son amant, d’un domino vêtu,
La Guigne en lui montrant l’enseigne étincelante.
Et sa voix reprenait, câline, ensorcelante,
Comme le Veloureux hésitait : « Vieux têtu,
Ne trouverais-tu pas mon idée excellente ? »

Elle était adorable en page Chérubin,
Un pourpoint blanc brodé serrant sa taille fine,
Sa gorge colorant sa fine mousseline,
Le léger manteau bleu sur l’épaule, et la main
Torturant un stylet, raclant la mandoline,
D’un geste polisson moins fille que gamin.

« Écoute, disait-il, cette foule m’effraie.
Nous avons tout le jour couru parmi ces fous.
Je me sens triste, et même, en te voyant si gaie…
Pardonne-moi, je crois que je deviens jaloux
De ces jolis messieurs rôdant autour de nous…
— Veux-tu me voir pleurer ? Attends donc que j’essaie !

Répondait en riant la Guigne. Viens, dansons,
Courons à la gaîté, le bruit et les chansons…
Il sera temps demain d’allonger notre mine.