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Une Vierge folle

Comme pour ajouter encore à sa torture,
Jeanne, la brune enfant, la belle créature
Qu’admiraient, que citaient tous les gars de l’endroit,
Que les filles, par contre, enviaient à bon droit,
Se parait chaque jour de nouveaux avantages.
Ses grands yeux noirs avaient des chatoiements sauvages,
Son teint se satinait et devenait plus pur.
Le marbre de Paros a des lignes d’azur
Qui traversent parfois sa blancheur renommée :
Ainsi ce front divin, ce profil de camée
Qu’on aurait dit sculpté par un maître immortel
Et pour lequel les Grecs auraient dressé l’autel,
Mêlait à sa pâleur de déesse et de reine
Sous la peau les contours azurés de la veine.

Ses longs cheveux flottaient plus touffus que jamais,
Mettant un cadre noir au galbe de ses traits,
Et les sourcils épais paraissaient d’un bleu sombre
Sous ce front lumineux où se jouait leur ombre.

La bouche, une grenade entr’ouverte au soleil,
Avait cet éclat vif d’un sang jeune et vermeil ;
Elle avançait un peu. La lèvre, bien fournie
De chair humide et fraîche, aurait à l’insomnie