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LA NOUVELLE CARTHAGE

fleuve. Il déboucha place du Bourg, à l’endroit où le quai s’élargit et pousse une pointe dans la rade. De l’extrémité de ce terre-plein la vue était magnifique.

En aval et en amont l’Escaut déroulait avec une quiétude majestueuse ses superbes masses de flots. On le voyait dessiner une courbe vers le nord-ouest, fuir, se contourner, poursuivre, virer de nouveau, comme s’il voulait rebrousser chemin pour saluer encore la métropole souveraine, la perle des cités rencontrées depuis sa source, et comme s’il s’en éloignait à regret.

À l’horizon, des voiles fuyaient vers la mer, des cheminées de steamers déployaient, sur le gris laiteux et perlé du ciel, de longues banderoles moutonnantes, pareils à des exilés qui agitent leurs mouchoirs, en signe d’adieu, aussi longtemps qu’ils sont en vue des rives aimées. Des mouettes éparpillaient des vols d’ailes blanches sur la nappe verdâtre et blonde, aux dégradations si douces et si subtiles qu’elles désoleront éternellement les marinistes.

Le soleil se couchait lentement ; lui aussi ne se décidait pas à s’éloigner de ces rives. Ses rougeurs d’incendie, sabrées de larges bandes d’or, mettaient à la crête des vagues comme de lumineuses gouttelettes de sang. C’était à perte de vue, le long des pilotis, des quais plantés d’arbres, puis des digues herbeuses du Polder, un papillotement, un scintillement de pierreries animées.

Des barques de pêcheurs regagnaient les canaux de refuge et les bassins de batelage. De flegmatiques chalands se laissaient pousser, à vau l’eau, si lentement qu’ils en paraissaient immobiles et comme pâmés aux caresses titillantes de cette eau pleine de flamme, chargée de fluide comme une fourrure de félin.

Les voiles blanches devenaient roses. Les contours des bateaux, le ventre et les flancs des carènes étaient très arrêtés à cette heure. Et, par instants, sur la toile des chaloupes se détachaient noires, agrandies, prenant on ne sait quelle autorité fatidique, quelle valeur supraterrestre, de nobles silhouettes de marins tirant sur une amarre ou transplantant un mât.

À droite, aux confins de la zone des habitations, s’enfonçaient profondément vers l’intérieur, comme à la suite d’une victoire du fleuve sur la terre, d’immenses carrés qui étaient des bassins, puis encore des bassins d’où s’élançaient en cépées compactes des milliers de mâts compliqués, aux gréements croisés de vergues. Et dans cette forêt de mâts, les maisons, passerelles, sas, écluses, cales sèches, ménageaient des clairières, des échappées sur l’horizon.