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LA NOUVELLE CARTHAGE

Les pétitionnaires reconnaissaient qu’ils se trouvaient parfois au nombre de plus de cinquante à bord d’un navire, entravant les manœuvres et faisant aux gens de larges distributions d’alcool dans l’espoir d’avoir leur clientèle. Ils demandaient instamment que, pour faire cesser cet abus, on défendît de monter à bord avant l’arrivée du navire à destination.

Des capitaines étrangers, au nombre d’une trentaine, ont appuyé cette pétition.

Les commerçants établis dans les environs des bassins protestèrent de leur côté, en 1868, contre les abus résultant de la tolérance laissée aux « runners » de monter à bord des navires en route. Ils déclaraient que les bâtiments du commerce étaient parfois encombrés, avant d’atteindre le port, de plus de cent personnes étrangères et que dans le nombre se glissaient même des femmes de mœurs douteuses. Cette pétition fut appuyée par le collège échevinal.

Mais c’est en 1886 et 1887 que les plaintes sont devenues particulièrement vives. Un grand nombre de capitaines, à leur arrivée à Anvers, ont saisi le consul général d’Angleterre de protestations très énergiques contre les agissements éhontés des « runners ». Il suffira d’en extraire quelques faits, pour montrer le degré d’impudence où sont arrivés ces trafiquants.

En juin 1886, un navire, en route pour Anvers, est assailli dans l’Escaut par douze à quinze « runners » qui montent à bord malgré les menaces du capitaine et qui, à leur arrivée à Anvers, semblent s’être vantés d’avoir réalisé un bénéfice de 1,500 francs sur le navire. Le plus malmené fut un vieux marin de soixante ans dont l’avoir se montait à 800 francs et qui, après dix jours, avait tout dépensé.

Le 15 mars 1887, une barque est envahie par des « runners » malgré tous les efforts que fait le capitaine pour les écarter. À peine sur le pont, les « runners » se battent entre eux à coups de bâton, de barres de fer, de couteau. La lutte finie, ils se répandent parmi l’équipage avec les bouteilles de gin dont ils sont munis ; en moins d’une demi-heure, tous les hommes du bord sont ivres-morts ; aucun d’eux n’est plus capable du moindre travail ; le capitaine et les officiers sont contraints de se mettre eux-mêmes à la besogne, ils n’ont plus personne pour les aider.

D. — Les plaintes dont parle l’Exposé des motifs n’ont-elles pas donné lieu à une enquête ?
xxxxSi oui, le Gouvernement ne pourrait-il communiquer à la section centrale le dossier de cette enquête ?

R. — Les plaintes qu’ont provoquées les « runners » n’ont pas donné lieu à une enquête proprement dite.

Mais l’administration a tenu à s’assurer, à différentes reprises, de leur bien-fondé et elle a chargé le commissaire maritime du port et l’inspecteur du pilotage d’examiner la situation.

En 1880, le commissaire maritime s’exprimait en ces termes :

« Chaque fois qu’un navire arrive à Anvers d’un voyage au long cours, une quantité considérable de personnes se rendent à bord, telles que logeurs, tailleurs, enrôleurs, commis de courtiers, etc., etc., chacun pour recommander son article.