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LA NOUVELLE CARTHAGE

d’horreur. Il comptait bien y rester avec son condamné. L’idée du trépas n’avait rien pour lui répugner. Ne s’était-il pas senti partir délicieusement, il y a quelques minutes ?

Béjard, devinant l’atroce dessein de son bourreau, ruait, mordait, jouait de tous ses membres, le désespoir décuplant aussi sa vigueur normale.

Parfois il opposait une telle résistance que Laurent ne parvenait plus à avancer et qu’ils se crochetaient sur place. Mais l’avantage restait toujours à Paridael et il poussait victorieusement sa capture en avant, à travers tout, par-dessus des amas visqueux, des matières flasques ou carbonisées dans lesquelles on aurait eu peine à reconnaître des restes humains.

Il foulait même des blessés, l’idée de la vengeance le rendait sourd à leur râle. Des cartouches partaient constamment sous ses pieds, des balles sifflaient à ses oreilles, il aurait pu se croire sur un champ de bataille, au cœur de la fusillade décisive.

La chaleur devenait intolérable. Le naphte enflammé l’asphyxiait. En cette extrémité, il n’adressait qu’une prière à Dieu : celle de ne mourir qu’après avoir tué Béjard.

Dieu l’exauça.

Au moment même où, à bout de forces, Paridael allait lâcher prise, ce qui restait des cartouches fit masse et détermina une explosion suprême. Les derniers vestiges de l’usine Béjard sautèrent. Une autre tulipe rose et noire s’épanouit dans les éclairs.

Deux ombres étroitement enlacées s’abattirent au milieu du lac de feu.