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des bras qui n’en finissaient pas, un corsage trop long et des jambes croches trop courtes.

Bert, le fils aîné, un pagnole de vingt-huit ans, mesurait près du double de son père, présentait une carre gibbeuse, un profil en lame de couteau où flaquaient deux yeux glauques. Il avait des mains énormes et des pieds qui déconcertaient Pier-Jan Klomper, le sabotier, aussi habitué que fût celui-ci à chausser des abattis extravagants.

Après lui venait Gust, un brunet de vingt-deux ans, assez proprement découplé, rogue et vicieux, et le plus déluré des trois garçons. Puis c’était Pauw ou Pol, le benjamin, un rousseau à la veille de tirer au sort, trapu et râblé, au masque épaté et moufflard, affligé d’une hilarité chronique qui lui donnait l’air d’une volaille gavée ouvrant le bec pour respirer, avec cette nuance que le bec ressemblait à un croupion.

À trois ils n’avaient qu’une volonté : celle de leur père. Ils le savaient mauvais, capable d’avantager l’un d’eux dans son héritage. Le fermier avait maté son second, le plus récalcitrant, en se faisant d’aveugles instruments des deux autres maroufles. À présent, Gust trimait aussi docilement que Bert ou Pol. Étant le plus malin et le plus dur aux manouvriers, il présidait aux façons, aux semailles et aux récoltes. Le long Bert dirigeait les charrois, trimbalait les fumiers, livrait les fourrages aux clients de la ville. Quant à Pauw, il paissait les vaches et battait en grange.

Les jours fériés et en temps de kermesse, ils recevaient chacun un double florin de leur père. Bert le