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La comtesse de Roquemare restait seule avec son fils, Paul, âgé de treize ans alors. Des cent mille francs qu’avait produits la vente du château, vingt billets de mille francs avaient été épargnés par le comte…

La comtesse était une femme courageuse. Elle avait entouré son mari des soins les plus affectueux pendant la fin de sa vie et tenté, autant qu’elle le pouvait, d’atténuer pour lui l’amertume de la misère, mais elle n’était pas parvenue à redonner du courage au comte, elle n’était pas parvenue à insuffler au désespéré l’énergie qu’il lui aurait fallu pour triompher dans la lutte pour la vie.

Ce courage qui avait manqué au père, elle voulait le donner au fils.

Paul de Roquemare ne manquait pas d’énergie ; la perspective d’une vie de travail ne l’effrayait point. Mais il lui semblait souffrir d’un mal étrange ; il restait de longues heures songeur, la pensée perdue dans un lointain ignoré de ceux qui l’entouraient ; une tristesse perpétuelle voilait son regard et nul ne pouvait savoir à quoi il pensait ainsi, nul, pas même sa mère que pourtant il adorait. Le jeune comte se rappelait son enfance, les années vécues au grand soleil, dans les bois, à travers les champs, respirant l’air que n’empuantissaient pas les relents d’usine ou les poussières des rues. La ville lui semblait comme une immense prison et il avait la haine de cette prison qui l’avait pris comme une proie et ne voulait plus le lâcher. Son rêve eût été de vivre ignoré, perdu dans un coin de terre, dans le coin de terre où il était né, et s’il n’en parlait jamais à sa mère c’était pour ne pas éveiller en elle des souvenirs trop pénibles.