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à la fois d’admiration pour votre beauté, et d’un sentiment plus grand encore.

Assise maintenant en face de lui, elle jouait négligemment avec le ruban de sa ceinture. Plus il parlait, plus elle semblait s’éloigner de lui.

Et comme il se jetait à ses pieds pour l’implorer, elle partit d’un grand éclat de rire :

— Non, dit-elle, non. Relevez-vous, ce n’est jamais ainsi que vous arriverez à me fléchir…

Il se releva :

— Êtes-vous donc si cruelle ?

— Je ne suis pas cruelle, cher monsieur, je suis logique. Voyons, je suis riche, libre, indépendante, et vous venez tout d’un coup me demander de vous sacrifier tout cela, de passer sous votre joug…

— Oh ! sous mon joug !

— Mais oui ! Sous votre joug, je dis bien. Oh ! je sais ce que vous allez me dire : je ne peux pas vivre éternellement seule, je me marierai certainement un jour. Vous m’aimez comme nul autre ne le pourra ! Tout cela est possible, c’est même vrai, je le crois. J’ajouterai même que vous ne me déplaisez pas…

— Laure. Est-ce vrai ?

— Ne vous emballez pas, je vous prie, laissez-moi achever. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas vous qui m’épouserez. Hélas ! Je sais trop que malgré toutes les belles théories sur l’affranchissement féminin la femme sera toujours la proie de l’homme. Servitude douce, servitude consentie, servitude heureuse, mais servitude quand même.

« Vous êtes l’homme, le mâle, et vous voulez me prendre. Eh bien ! non, je me défends, je défendrai ma liberté. Je suis comme le gibier sauvage qu’il faut saisir ainsi qu’une proie. Où donc avez-vous vu que l’antilope venait tranquillement se livrer au lion ou au tigre ? Croyez-vous que si celui-ci se jetait à ses pieds et l’implorait, elle se laisserait convaincre qu’elle doit se laisser dévorer ?

« Le chat tient-il de beaux discours à la souris pour qu’elle vienne se placer sous sa patte ? Et l’oiseau vient-il gentiment dans la cage qu’on lui a préparée ?

« Je serai serve, un jour, comme toutes mes sœurs, mais de celui qui aura osé, de l’audacieux, du fort qui m’aura conquise malgré moi, et sur moi-même.

Gérard écoutait et regardait cette étrange fille. Au fur et à mesure qu’elle parlait, son visage prenait une expression