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des jours où il n’y a personne, et d’autres où il n’y a guère que deux ou trois, quelquefois même un seul client.

Mais ces derniers sont l’exception. Et maître Honoré s’en console philosophiquement, en se disant que ces jours-là sont pour lui et les siens jours de repos, que l’on peut occuper de bien des manières.

Hélas ! Faut-il que dans ce ciel sans nuages couve un orage prochain ? Faut-il que cette existence si calme soit menacée de troubles imprévus ? Faut-il qu’une si belle harmonie risque d’être rompue !

Pourquoi donc, demanderez-vous ?

Pourquoi ? Parce que… c’est chose impossible à croire, rien ne pouvait le faire supposer… parce que maître Honoré est amoureux de sa servante.

Oui, je sais, Mme Honoré est fidèle ! Son mari n’a rien à lui reprocher ! Elle est certainement au moins aussi bien, sinon mieux qu’Adèle.

Mais malgré cela — contradiction du cœur humain — l’hôtelier voudrait la tromper avec la jolie fille rousse qui est à son service.

Il n’a aucune excuse… sinon que sa femme, il la connait depuis douze ans, et que l’intimité avec elle ne peut plus lui réserver aucune surprise.

Et c’est pour cela, pour le simple désir de goûter à un fruit défendu, d’éprouver du nouveau en amour, pour cela uniquement que maître Honoré veut tromper son épouse avec sa servante.

Il est agacé de voir ses clients faire des avances à Adèle, lui lancer des œillades, voire même essayer de l’embrasser par surprise.

Il est agacé, et jaloux. Lui aussi, il la convoite ; lui aussi se sent tenté par les charmes de cette jeunesse qui couche sous son toit.

Et voilà d’où viendra la catastrophe qui va s’abattre sur l’hôtel des Gais Lurons. Elle viendra, cette catastrophe, n’en doutez pas. Elle est toute proche…

Plusieurs fois déjà, le patron a tenté de faire comprendre à sa domestique qu’il n’était pas insensible à ses appas ; plusieurs fois il a risqué quelques mots, des plaisanteries anodines, mais Adèle n’a jamais paru y prendre garde. Elle n’a pas compris ou, si elle a compris, elle a fait semblant de ne pas comprendre.