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Néanmoins, ce plaisir nouveau ne devait pas durer longtemps ; il prêtait trop à la possibilité des abus, et bien vite il se déforma. Tout d’abord, de nombreux publicistes, alléchés par l’importance des gros cachets, et désireux d’en venir aux mains, cherchaient des partenaires, se provoquaient, et la violence de la presse devint épouvantable. Puis, les plus malins ou les plus faméliques inventèrent un progrès encore : combinant des polémiques, à l’amiable, ils eurent des feintes querelles, arrangèrent les rôles, convinrent des répliques, réglèrent le combat. Le duel était précédé de répétitions nombreuses, et soigneusement mis en scène par des Sociétaires en retraite : la façon d’attaquer, de rompre, de revenir à la charge, de donner et de recevoir la blessure, de tomber, de relever le vaincu, d’échanger les poignées de mains, d’attendre, de passer, de se taire et de parler, les gestes, les intonations, les physionomies, tout était méthodique, immuable. Le costume du blessé comportait une ampoule pleine de liqueur rouge, qui simulait le sang. Mais la pièce était souvent mal jouée, et le public ne tarda guère à s’apercevoir de la ruse. On siffla. Les parieurs, dupés, réclamaient leur argent. Les naïfs seuls consentirent pendant quelques mois à risquer un enjeu contre les bookmakers. Enfin, ils s’abstinrent comme les autres.

Il n’était plus possible d’ajouter foi à la sincérité de ces combats : en effet, les barnums, maintenant, organisaient des tournées ; un duel se promenait de ville en ville piteusement. On ne trouva plus pour tenir les deux rôles, que des artistes inférieurs, mal en point et mal payés. La curiosité se détournait de ces comparses.

On espéra la réveiller par l’apport d’un élément nouveau, et les rencontres d’honneur se firent en musique. Mais la tentative ne réussit pas.

Seules, les petites villes et les campagnes daignaient encore s’amuser du spectacle. Les troupes de passage annonçaient leur venue prochaine par des affiches illustrées : on les regardait peu, on ne venait guère, et, durant le combat, on riait d’un bon rire.

La chose était usée. Le duel était mort. Il n’y avait plus de « point d’honneur ».

edmond haraucourt.