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rideau, faire évacuer la salle, donner les premiers soins aux victimes de la bagarre.

Le lendemain, un arrêté du préfet interdit les « rencontres d’honneur », et ferma le Pandœmonia. Mais Paris fut mécontent. Des manifestations s’organisèrent dans les rues pour demander le rétablissement des jeux. Des monômes parcouraient les boulevards, en chantant : « Conspuez préfet, conspuez ! »

À la porte du théâtre, on faisait queue, la police dut charger. Les conseillers municipaux, l’écharpe autour des reins, péroraient avec des gestes. Mais le préfet tenait ferme. Une interpellation fut lancée à la Chambre ; le ministère tomba ; il fut remplacé par un autre, qui changea le préfet et garda l’arrêté. On n’avait plus les jeux, mais on avait du moins renversé le fonctionnaire, et la ville rentra dans l’ordre.

Cependant une coutume venait de se créer. L’invention de Dicks fut bien vite exploitée par d’autres. Un câblogramme d’Amérique invita les duellistes français à donner leurs séances au Great-Punch de New-York et de Chicago : trois jours de mer, tous frais payés, cachets superbes ; on passa le détroit. La France perdait une industrie encore, et le ministère, interpellé, tomba.

Le mouvement pris, on savait maintenant à l’étranger que Paris, la ville de joie, pouvait ne pas avoir le monopole des « rencontres d’honneur ». Aussitôt on en vit partout, dans les grands centres des deux Mondes, les marchands d’attractions organisèrent des séances. Le succès fut universel. L’Europe et l’Amérique s’enthousiasmaient pour ces manifestations de la vaillance humaine. L’Espagne fut la plus ardente à les propager.

Car les peuples, comme les individus, admirent la force deux fois dans leur existence, lorsqu’ils sont très jeunes et lorsqu’ils sont très vieux : les premiers parce qu’ils y constatent une beauté, et les seconds parce qu’ils y contemplent ce qu’ils n’ont plus. Les Grecs aux Jeux Olympiques, ont des athlètes qu’ils saluent, et les Romains, au cirque, ont des gladiateurs qu’ils égorgent. Les peuples jeunes se réjouissent de voir la force en son épanouissement, puisqu’ils l’aiment ; les peuples vieux se complaisent à la voir abattre, puisqu’ils la détestent. Pour ceux-là, c’est un modèle et pour ceux-ci, incapables de suivre un exemple de vigueur, c’est une revanche de leur faiblesse.