Page:Edmond Haraucourt point-d-honneur 1900.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.

personne, puisqu’on n’appliquait plus la loi.

Il n’était donc pas admissible que la peine de mort, abolie pour les assassins, demeurât en vigueur contre les ironistes ou les amants adultères, et qu’un mari trompé ou qu’un citoyen bafoué eussent encore un droit que l’on retirait au bourreau. Cependant, aucune législation complémentaire n’intervint contre le duel, puisqu’il se trouvait déjà prohibé par les textes, et on laissa aux mœurs le soin de parachever, avec le temps, l’œuvre du législateur.

Il fallut peu attendre : le résultat insignifiant des rencontres ordinaires discréditait de plus en plus cette mode belliqueuse, et bientôt le moment arriva où un galant homme n’osait se risquer dans une telle aventure, qui n’apparaissait plus que comme une tentative de tapage et de réclame. Les administrateurs de journaux comprirent enfin que la plupart des duellistes n’aspiraient qu’à attirer l’attention sur leurs personnes, leurs noms, leurs livres, afin de créer ou d’augmenter une situation politique ou littéraire, et cela sans payer les frais de publicité : en conséquence, on décida que les procès-verbaux ne seraient insérés que moyennant finance, comme les autres réclames, et cette heureuse innovation diminua subitement le nombre des querelles. On ne parlait plus nulle part des balles échangées sans résultat. Les personnes désœuvrées continuaient, par hygiène, à prendre des leçons d’escrime, et dans les établissements d’hydrothérapie, il était bien porté de battre la planche pendant un quart d’heure, avant de prendre la douche. En 1930, prises d’un regain romantique, les femmes s’enthousiasmèrent pour l’exercice de l’épée, et la culotte courte fut reprise, pendant trois saisons. Mais, en 1932, un ministre de la guerre ayant interdit le duel, jusque-là obligatoire dans les casernes, les dames firent comme les militaires, et d’un commun accord déposèrent les armes. Celle qui travaillaient dans les cirques continuèrent seules, parce qu’elles s’exhibaient pour de l’argent et, par la présentation de leurs formes, achalandaient leur alcôve.

De 1933 à 1937, on n’entendit parler d’aucune rencontre à l’épée ni au pistolet, et tout à coup un habile homme songea au bénéfice que l’on pouvait tirer de ce silence. Il eut l’idée de rajeunir le duel, de le rénover, de le transformer au goût du jour : il y avait là de gros profits à faire, et l’occasion était bonne. Précisément à cette époque, de violentes diatribes étaient suscitées par la célèbre affaire Cléophat, et les esprits, très montés, divisaient le pays en deux camps bien distincts : les polémiques de presse se montaient à des tons inconnus jusqu’alors, et M. Dicks, impresario, imagina de rendre visite à quelques publicistes des deux partis.