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2,120 litres). À différentes reprises, les services de la Santé avaient signalé les symptômes d’une maladie mentale qui affectait plus particulièrement les familles riches ou de haute origine : cette étrange pathologie se manifestait par une tendance peut-être héréditaire au gaspillage de l’eau. On se la procurait à des prix fantastiques ; même, quelques maniaques, paraît-il, la fabriquaient clandestinement chez eux pour l’employer à des ablutions ou autres superfluités. Ils furent parfois assez nombreux pour constituer une secte, dont la découverte donna lieu à des répressions sanglantes ; depuis lors, la police surveillait avec une extrême rigueur les abus de ce genre. Les fabriques d’eau étaient soigneusement gardées et la répartition s’effectuait avec une exacte sévérité. Cette sévérité même suscita des révoltes, mais les troubles durèrent peu : grâce à la mentalité de ces peuples qui vivaient détachés de toute idéologie abstraite, les causes de discorde ne se prolongeaient guère ; leur organisation mathématique faisait le reste, et tout rentrait dans l’ordre.

En de telles conditions qui confinaient chaque nation dans son logis originel et qui interdisaient d’une façon presque absolue les déplacements à la surface du sol, il semblait bien que les dissensions civiles fussent presque inévitables, à cause de l’extrême promiscuité des êtres d’une même race : mais il semblait aussi que l’humanité, désormais, n’aurait plus guère à craindre le choc d’une nation contre une autre. Le fait se produisit pourtant, et ce suprême geste de folie eut des résultats effroyables.

Edmond HARAUCOURT.
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