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pendant d’aller au-dehors recueillir la neige nécessaire à la fabrication de l’eau. Le fonctionnement régulier de cette récolte constituait le problème vital par excellence, et le soin de l’assurer figurait au premier rang des nécessités dont l’urgence était capable de pousser quelques audacieux hors du terrier natal. Cette tâche homicide incombait à une certaine classe de prolétaires qu’on appelait les « mineurs d’eau ». Somptueusement payés et amplement honorés, puisqu’ils risquaient leur vie dans l’intérêt commun, ils formaient dans l’État une corporation puissante et parfois tyrannique. Pour obvier à ses exigences, la République des Tecks essaya, certain jour, de confier la récolte des neiges aux condamnés à mort ; mais cette expérience ne procura que des fournitures détestables, et le gouvernement dut, à nouveau, recourir à l’emploi des mineurs d’eau.

À tous les autres besoins, la science pourvoyait par l’exploitation des éléments minéraux trouvés dans les profondeurs du sol. Aux carrefours de la cité souterraine, des barboteuses purifiaient l’air décomposé et les usines de l’État y amenaient l’air respirable. Depuis des temps immémoriaux, l’homme ne mangeait plus ; il se nourrissait seulement. La chimie lui avait procuré les moyens de lutter contre l’inexistence des ressources organiques. Les laboratoires officiels envoyaient à domicile des flacons de pilules et d’essences destinées à l’alimentation des citoyens. Comme de juste, cette distribution était gratuite. En revanche, l’eau n’était dévolue qu’avec une extrême parcimonie. Maintes fois, des maladies endémiques résultèrent de la pénurie de l’indispensable liquide. Maintes fois aussi, des crises sociales furent occasionnées par les restrictions dont la masse du peuple souffrait intensément. Quelques-unes de ces émeutes prirent une gravité menaçante, et presque toujours elles furent suscitées par les agissements des « accapareurs d’eau. » On les guettait. Certains d’entre eux, qu’on appelait les « millionnaires, » passaient pour posséder, dans leurs réservoirs, jusqu’à deux ou trois millions d’eau (le million valait environ