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disputer la possession de quelque élément nécessaire à leur subsistance et de se haïr. – « Un de nous deux est de trop ! » De fait, la suppression de l’un eût assuré à l’autre des possibilités d’une durée que le partage du trésor commun ne permettait plus d’espérer. Ce trésor était l’ultime chaleur de la planète. Chacun des deux peuples en captait une part, trop importante au gré du peuple rival ; la fixation du nombre des calories accordées à celui-ci par le consentement de celui-là avait fait l’objet de pénibles tractations diplomatiques. Le peuple des Min, qui habitait la région de nos Guyanes, et, sur le versant opposé de la ceinture équatoriale, le peuple des Teck, terré dans les résidus de la Mélanaisie, ne cessaient de protester contre les abus de la partie adverse : chacun des deux, au dire de l’autre, captait frauduleusement, pour le chauffage de ses villes et la fusion de ses neiges, plus de calories que n’en autorisaient les conventions internationales. Des rapport d’espions aggravaient le mécontentement de chacun et les récriminations se faisaient de plus en plus acerbes. La situation devint tellement tendue que les Min rappelèrent leur ambassadeur. Dès lors, la guerre parut inévitable.

En conséquence, pour n’être pas pris au dépourvu, les deux gouvernements, dans le plus grand secret, décrétèrent la mobilisation générale. Il était facile de la réaliser sans attirer l’attention de l’ennemi, puisque les deux armées se composaient, l’une aussi bien que l’autre, d’une demi-douzaine de soldats, personnages fort sédentaires et d’un âge relativement avancé, qui n’accédaient à la fonction militaire qu’après avoir fourni les plus incontestables preuves de leur savoir ; chacune de ces deux armées se réunissait à la néoménie, pour surveiller le bon état des appareils de guerre et recevoir le rapport du généralissime, qui siégeait en permanence durant un mois lunaire et se retirait, cédant sa charge à un confrère : un tel roulement avait été reconnu nécessaire en raison de la vigilance qui s’imposait à cette sentinelle unique chargée de la sécurité nationale.