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Qu’étaient, en effet, les armées combattantes, sinon les émissaires d’un pays, les représentants d’une race, postés en avant-garde, afin de couvrir et de défendre leurs congénères ? Les plus sanglantes mêlées ne constituaient donc que des escarmouches entre ces avant-gardes : ce rideau de troupes une fois retiré, le choc allait se produire entre les peuples eux-mêmes, et la bataille, au lieu de tendre à l’écrasement de l’armée adverse, tendrait dorénavant, avec beaucoup plus de puissance, à l’anéantissement même de la race ennemie.

La mission d’en découvrir les moyens incombait aux savants qui, durant des siècles, s’adonnèrent à cette tâche et la poursuivirent à l’envi : leurs trouvailles furent terrifiantes. Dès la fin du vingtième siècle, les résultats obtenus dépassent les conceptions les plus affreuses des romanciers les plus imaginatifs. Bientôt, il ne fut plus question d’opérer avec les faibles ressources qu’avaient procurées aux Européens de l’an 1990 la physique et la mécanique, la chimie et la bactériologie, ou les ondes à peine capables de détruire un million d’existences en quelques minutes. Au cours du troisième millénaire qui vit finir l’ère chrétienne, des nations disparurent et leurs noms se laissèrent oublier. Puis des races s’éteignirent. D’autres, peu à peu, se reconstituaient. Les types humains se réformaient sans que l’instinct de rivalité cessât de soulever les uns contre les autres les groupements de l’animal hargneux qui ne tolère pas la jouissance d’autrui à côté de la sienne.

En cela, les derniers hommes ne différaient guère de ceux qui nous ont laissé leur histoire. Bien qu’il n’en restât plus que deux groupes, et bien que ces groupes fussent séparés par des espaces que la congélation du globe rendait infranchissables, ils trouvaient moyen de se