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La civilisation ne s’en contentait plus. Elle avait droit à mieux. La science devait normalement se charger de lui fournir les progrès que réclament les temps nouveaux, et la science du vingtième siècle n’en est encore qu’à ses débuts : ce qu’elle a fourni en quelques lustres permet d’entrevoir les améliorations qu’elle saura procurer d’ici quelques mille ans. C’est à elle, et non plus aux militaires, que les peuples évolués s’adresseront, dès demain, pour obtenir les moyens de supprimer ce qui les gêne, et pour rendre libre la place qu’ils convoitent, quand cette place est encombrée par d’autres occupants.

Assez promptement les armées devinrent inutiles, et, d’un commun accord, elles furent abolies ; dès lors, les nations décidées à s’entre-détruire ne s’affrontèrent qu’avec plus d’efficacité. En bonne logique, on aurait pu le prévoir : la guerre n’ayant jamais été autre chose qu’une compétition de la vie, elle n’aurait pu disparaître que si la vie elle-même disparaissait. Le jour où les gouvernements renoncèrent à entretenir des armées, avec la candide illusion de croire qu’ainsi ils supprimaient la guerre ou les chances de guerre, ils avaient tout simplement donné à celle-ci sa forme la plus homicide : dans le vœu de l’abolir, ils l’avaient généralisée.