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S’ils agissaient peu, ces petits monstres remuaient sans cesse, agités de trépidations, secoués de spasmes furtifs ; ils n’y prenaient plus garde, car leur névropathie héréditaire, consécutive au long surmenage du système nerveux, était devenue une condition vitale de la race : ils tremblaient comme on respire. Ils dormaient peu, d’un sommeil coupé de réveils et hanté par des rêves. La pensée ne leur laissait aucun repos ; mais leur cœur était sans émoi ; aucune pitié ne le faisait battre devant aucune souffrance, aucun élan vers aucune joie : chaque créature vivait retranchée dans un égoïsme inexorable.

Ce qu’étaient leurs mœurs ? Elles n’étaient pas. Au sens humain de ce mot, ils n’avaient point de mœurs, mais des coutumes, des habitudes, ou, plus exactement, des modes de vivre, non pas décidés et voulus, mais imposés par les besoins. Ils possédaient des lois, certes, et fort strictes, mais les intentions morales qui servent à légitimer le principe de nos législations ne comptaient pas pour eux. Personne ne s’en souvenait. Ils admettaient socialement des nécessités, qu’ils renforçaient de sanctions, mais sans leur reconnaître d’autre origine ou d’autre valeur que la nécessité. Ils vivaient mathématiquement.