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Ainsi, ce monde de finition, étranglé entre les tropiques, ne comprenait plus que les Guyanes, les Guinées et un troisième continent de création récente, formé par les alluvions qui venaient, cinq mille ans plus tôt, de souder les Antilles. Cette partie du globe, la plus jeune, était aussi la plus fertile, engraissée par les détritus de la mort septentrionale.

Malgré cette richesse relative du dernier humus, la vie animale et végétale n’y continuait que péniblement : mal protégée par la couche trop mince de l’atmosphère, la chaleur terrestre s’irradiait, dans l’infini, perdue ; le sol usé ne produisait plus rien, sinon les plantes de misère qui consentent à vivre sans tiédeur et sans eau : les pins et les érables se hissaient à peine au-dessus des herbes, rabougris dans l’air terne, et les forêts de bouleaux ou de chênes atteignaient la hauteur de nos blés.

Le soleil, impuissant à évaporer les frigides eaux de la mer, se promenait dans un ciel blafard, sans nuages ; la pluie ne tombait plus qu’à des intervalles séculaires, et les sources des rivières tarissaient. Le sol, n’étant plus ameubli, devenait rêche et cassant. À la place où furent les forêts vierges, de glauques lichens tapissaient les plaines tropicales, et, dans l’abri des serres, la plus truculente des fleurs était la timide edelweiss.

Peu de vent, à cause de l’uniforme enveloppe de froid, condensée autour d’une planète sans contrastes ; mais parfois une lente invasion de frimas, si lente qu’on n’y percevait aucun souffle, si glaciale qu’elle vitrifiait les tiges. Rien ne bougeait ; une lumière blafarde affadissait les formes, et l’ombre des choses était pâle.

Les races d’animaux sauvages, sans abri et sans nourriture, s’étaient peu à peu éteintes, à part les rennes, les loups, quelques ours, et des condors.

Les espèces domestiquées avaient disparu moins promptement, grâce à la protection humaine cependant, les plus vivaces s’étiolaient, et maintenant il ne restait plus que de rares bisons descendus à la taille des molosses, et plusieurs chiens de montagnes, gros à peine autant que des chats.

L’homme avait moins souffert.

Enfermé dans les villes denses, vêtu de pelleteries, il se défendait mieux contre la froidure, et la science lui avait livré des aliments chimiques qui permettaient de lutter contre l’insuffisance des ressources naturelles.

Depuis des temps immémoriaux, il ne mangeait plus ; il se nourrissait seulement. Des laboratoires officiels envoyaient à domicile les flacons de pilules et d’essences destinées à l’alimentation commune ; l’eau était, en raison de sa rareté, dis-