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Frères des pucerons, mais frères aussi des étoiles, vous percevrez l’infime en rapport avec l’immense, emportés ensemble par la Loi qui nous régit tous. Alors, messieurs, l’immense et l’infime vous apparaîtront égaux, au regard de l’infini dans lequel ils s’agitent avec obéissance. Alors aussi, vous concevrez que cette ascension unanime des êtres s’identifie avec le cercle du mouvement total, et qu’elle est, si j’ose dire, l’orbite des existences. Alors, d’avoir contemplé ici l’Homme que le Progrès porta si haut pour l’entraîner si bas, nous tirerons un grand enseignement, et vous sortirez de cette enceinte, messieurs, avec la notion et la preuve d’une très haute vérité : car vous saurez que le Progrès n’est pas un but, dans le sens étroit où nos moralistes l’entendent, mais au contraire la Force même qui, les uns et les autres, nous élève du néant et nous y reconduit, avec la même douceur, la même sûreté, et les mêmes moyens, pour entretenir la vie universelle, éternelle, infinie !

Applaudissements répétés. Vive animation. Le professeur, très entouré, reçoit les félicitations. Des groupes se pressent autour de l’estrade sur laquelle l’Homme est debout. Au milieu de cette foule, l’animal donne les marques de la plus nerveuse inquiétude ; sa face est grimaçante de tics, et ses yeux, qui roulent dans leur orbite, se tournent avec fréquence vers le professeur dont il semble implorer le secours. Malgré l’interdiction de l’écriteau, des mains se tendent vers lui, pour le caresser. Il pousse des cris aigus, et s’affole de plus en plus. Sur un signe du professeur, les aides ouvrent la cage dans laquelle l’Homme se réfugie avec empressement. On le voit qui se blottit au fond. Les gardiens l’emportent.
EDMOND HARAUCOURT.