Page:Edmond Haraucourt Le gorilloide 1904.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les Hommes, avant nous, ont cru peut-être que le monde était créé pour eux, qu’un Dieu veillait sur eux, que les étoiles brillaient pour embellir leurs nuits, et que leur existence était la raison finale de toutes choses ! Peut-être ont-ils cru comme nous posséder en eux le principe d’une âme immortelle ?…

Rires.

Cette opinion nous égaie aujourd’hui, et cependant, messieurs, si grotesque qu’elle nous apparaisse, nous n’hésitons pas à la renouveler pour notre propre usage.

Protestations. Plusieurs dames se lèvent et se retirent.

Pardonnez-moi, je vous en prie, s’il m’est impossible de ne pas noter le vice fondamental du raisonnement qu’on nous oppose : lorsque nous constatons, pour deux branches d’une même famille, le même processus, n’est-ce pas illogique de l’admettre pour l’une en le niant pour l’autre ?

Protestations animées. Tumulte.

Je ne vois rien d’amoindrissant pour nous à être les parents des Hommes, qui furent majestueux dans leur époque comme nous le sommes dans la nôtre ! Je ne perçois rien d’humiliant dans l’honneur d’avoir suivi comme eux la route du progrès.

Rires et cris. Protestations violentes. On siffle.

C’est l’Orgueil qui manifeste ici, et je m’adressais à la Raison !

Applaudissements sur plusieurs bancs.

L’orgueil a perdu l’Homme ! L’orgueil est la force qui crée au début, et qui tue à la fin ! Il sied à ceux qui poursuivent la tâche, et messied quand la tâche est faite ! L’orgueil devant l’œuvre accomplie s’appelle de la vanité !

Tumulte grandissant.