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Je sais trop combien cette seule hypothèse a soulevé de protestations indignées, et comment on nous accuse d’attenter au respect de notre race, que le Dieu créateur a façonnée à son image. Je sais trop combien la question est ardue, scabreuse, au point de vue social, religieux, mondain ! Messieurs, elle ne l’est pas au point de vue scientifique : nous étudions la vie sous ses multiformes aspects, nous l’étudions sans parti pris et sans fureur, afin d’en dégager, autant qu’il se pourra, les grandes lois qui président à la progression des êtres. D’ailleurs, pour rassurer les plus légitimes scrupules, je vous dirai tout d’abord ma réponse personnelle à la question posée : Non ! Le Gorille ne descend pas de l’Homme.

Mouvements divers.

La raison en est simple : l’Homme a disparu, et nous venons de contempler sa ruine. Or, s’il était vraiment notre ancêtre, il existerait toujours, puisqu’il existerait en nous, par nous, qui représenterions ici-bas sa vie perpétuée. Donc, puisqu’il plaît à quelques-uns de considérer cette descendance comme une humiliation pour nous et comme un avilissement de notre dignité, rayons-la des hypothèses, messieurs, j’y consens.

Mais si nous ne descendons pas de l’Homme, est-ce à dire que nous ne descendons pas, lui et nous, d’un ancêtre commun ? S’il ne fut pas notre aïeul, est-ce à dire qu’il ne soit pas notre parent, une sorte de frère aîné ?

Agitation. Rires ironiques.

Vous ririez davantage encore si je vous disais qu’autrefois, dans les siècles quintaires, l’espèce humaine a pu sourire comme vous faites, et s’indigner aussi, à la seule idée d’une parenté avec nous ! Alors, elle rayonnait dans toute sa gloire, tandis que nous nous débattions encore dans les limbes de l’animalité, et que nous tâchions péniblement à dégager notre conscience. Elle nous méprisait, sans doute, se refusait à reconnaître aucun lien entre elle et nous, ne voyait en nous que des bêtes, et, qui sait ? nous enfermait peut-être dans des cages.

Rires.