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haut et droit, s’infléchit ; les côtes, qu’elle tire en arrière, rentrent, et la poitrine se creuse ; ce retrait va naturellement occasionner une proéminence de l’abdomen qui, n’étant plus maintenu, se gonfle et tombe. Mais, ce qu’il faut noter surtout, messieurs, c’est l’état des membres supérieurs et inférieurs, car ils vont nous fournir un indice précieux et nous permettre une induction de l’ordre le plus élevé : les jambes, sous ce corps sans force, se sont aveulies, arquées, tandis que nous voyons les jointures acquérir une importance démesurée, qui tâche encore à maintenir en équilibre le fragile édifice de l’animal prêt à s’écrouler, c’est-à-dire prêt à retomber sur la terre d’où il s’était progressivement dressé. Les bras sont peut-être plus significatifs : leur vigueur et leur utilité n’étant plus entretenues par aucun exercice, ils se sont étiolés, réduits d’âge en âge, et très probablement une graduelle diminution des muscles a précédé cet amoindrissement de l’ossature.

Mais, de cela, qu’allons-nous conclure, sinon que l’atrophie des organes fut consécutive à la désuétude des fonctions ? Le bras qui se perd, la jambe qui se tord, sont des membres qui ne servaient plus ou qui servaient de moins en moins ! Au contraire, les doigts longs, fins, déliés, nous attestent un emploi fréquent et subtil de la main, exclusivement adonnée à des travaux délicats, à des gestes rapides.

C’est ici, messieurs, que je requiers toute votre attention. Deux organes se sont développés au détriment des autres : le cerveau et la main ; je dirais mieux : le cerveau et les doigts. C’est donc qu’ils servaient seuls, tout le reste étant devenu inutile ? C’est donc que l’Homme, à son dernier période, fut tout pensée et digitation ? C’est donc qu’il n’eut besoin de rien autre, et qu’il était arrivé à restreindre au minimum la dépense de son effort ? C’est donc qu’il avait su, par une longue série de conquêtes, dompter les forces naturelles, les réduire à la servitude de son moindre geste, et n’avoir plus, dès lors, pour produire le mouvement, la lumière, la chaleur et la mort, pour se déplacer sur la terre ou sur l’eau et peut-être dans l’air, qu’à remuer le bout des doigts !

Sensation.