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Je vous épargnerai, mesdames, l’étude éminemment instructive de ces trois types comparés. Notez seulement la parenté de ces trois êtres : l’animal est un, toujours le même, mais des gouffres de temps séparent les trois individus ; entre eux, l’œuvre de la dégénérescence s’effectue. De même que l’espèce, au cours des siècles, et par une série non interrompue de transformation, a pu obtenir l’entier développement de ses organes et de ses facultés, et s’élever à un état de culture très avancé, de même elle a pu, je dirais volontiers qu’elle a dû, en continuant dans la même voie, dépasser le but, alors qu’elle croyait le poursuivre ; déjà parvenue au sommet, il lui a fallu continuer sa route et descendre, alors qu’elle s’imaginait monter toujours, parce qu’elle ne cessait point de marcher !

Messieurs, il faut le dire et le redire : l’état de perfection réside dans l’Harmonie : elle seule régit le monde et engendre la vie ; l’équilibre des forces constitue la beauté parfaite, l’unique beauté, et l’indispensable condition de toute existence ; quand l’une des forces l’emporte, l’équilibre est rompu, et l’œuvre désormais appartient à la mort. Vouloir au delà de la norme, c’est aspirer à détruire ; dépasser les fins naturelles, c’est rentrer dans le néant. Où sont les bornes ? Notre Raison les cherche et ne les connaît guère : l’Art les devine parfois, et parfois la Science les précise, mais nos certitudes sont restreintes, et souvent l’effort vers le mieux nous mène vers le pire, en sorte que souvent nous détériorons ce qui valait davantage avant notre venue, et maintes fois il advient que notre confiance en l’espoir d’édifier ce qui pourrait être aboutit seulement à dégrader ce qui était.

Applaudissements.