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LE DERNIER PAPE

son royaume était faible, les autres rois en profitèrent pour le lui prendre. Il redevint, pour la seconde fois, le Pontife des évêques ; on lui accorda de lancer des mandements, à défaut de commandements, et de proposer des avis, au lieu d’imposer des ordres.

— Toutes les théocraties ont pris fin de la sorte.

— Et toutes les religions qu’elles portaient, fatalement, ont pris fin avec elles ! C’est un grand malheur, monsieur, que Dieu ne puisse vivre sur terre autrement que par l’autorité des hommes. Quand les prêtres perdent leur suprématie sociale, les dieux meurent : voyez l’Assyrie et l’Égypte, l’Olympe et le Druidisme ! Les peuples n’ont cru à leurs divinités que dans le temps où ils tremblaient devant le pouvoir sacerdotal.

— On a compromis Dieu en l’introduisant dans la politique.

— Que dites-vous là, monsieur ? Vous faites tort à vos connaissances historiques, en supposant que Dieu puisse être tenu en dehors de la politique : il en est le principe même, et toute politique sociale ne fut, pendant des centaines de siècles, que la lutte entre l’Homme et Dieu, entre la conscience qui s’émancipe et la loi qui défend de s’émanciper, c’est-à-dire entre la force individuelle et la force générale ! L’homme sera-t-il libre, ou sera-il conduit ? Tout le problème fut là, durant quelques milliers d’années. Les deux plus magnifiques constructeurs de peuples que l’on ait jamais vus sur la face du globe, Moïse et Mahomet, pour étayer leur œuvre politique et la faire solide, ont eu recours à Dieu, sans lequel ils n’auraient rien pu : à Dieu ils attribuaient leurs dires et leurs dogmes, et les nations donnèrent au verbe du Dieu l’obéissance qu’elles eussent refusée aux prescriptions du Sage.

— Il se peut.

— Notre Seigneur a fait de même, monsieur, mais, par trop grande bonté, il fit œuvre incomplète, et son édifice péchait par trop de confiance en notre idéalisme, sur lequel il appuyait tout : il manquait à son œuvre une coercition, et l’Église catholique lui donna ce qui lui manquait. Il fallait, par ordre, forcer les hommes à rêver, à chanter, à se croire heureux, car le jour où ils doutent de Dieu, monsieur, ils