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EDMOND HARAUCOURT

Je me penchai vers le mourant. Son cœur battait encore, à peine.

Les assistants m’interrogeaient du visage. D’un signe, je leur fis entendre que la fin approchait. Ils avaient un air de gravité plutôt que de tristesse, comme si la disparition de leur ami dût causer à tous un embarras commun, et non de la douleur : l’atmosphère, autour de cet agonisant, manquait d’amour. Je cherchais à m’expliquer quels liens ou quels rapports pouvaient unir ces hommes qui, non-seulement n’appartenaient point à la même famille, mais qui bien évidemment ne provenaient ni du même pays, ni de la même race. Sans doute étaient-ils membres de quelque corporation ouvrière ? Je remarquai à leur boutonnière un ruban et un insigne semblables à ceux que nos ancêtres adoptèrent sur la fin du moyen âge, au XIXe et XXe siècles, pour distinguer encore les derniers ordres de chevalerie. Le ruban était écarlate, et l’insigne d’argent représentait un chapeau bas-de-forme, à grands bords, décoré de glands.

Mon premier interlocuteur, devinant ma pensée, se rapprocha de moi : « Monsieur, dit-il, je vous présente les cardinaux de la Sainte Église Catholique. »

Je saluai, sans bien comprendre, et il baissa la voix pour ajouter : « Notre Saint-Père, n’est-ce pas, est à toute extrémité ? »

Je ne comprenais pas davantage que ces hommes d’origines disparates eussent le même père, et qu’il fût sensiblement de leur âge. Mais je n’insistai point ; je passai dans la chambre voisine pour rédiger une ordonnance. Celui qui m’accompagnait continua ainsi :

— C’est une pitié pour le monde, car Sa Sainteté ne sera pas remplacée.

Je levai les sourcils, pour témoigner de mon impuissance à empêcher ce malheur dont la portée m’échappait, et je me remis à écrire. Mais l’homme, désireux, j’imagine, de me renseigner sur sa propre importance, ajouta :

— Hélas, monsieur, vous aurez vu mourir le dernier des Souverains Pontifes, devant les derniers cardinaux de l’Église romaine…

Alors, je compris. J’avais ignoré jusqu’à ce jour qu’il exis-