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comme autrefois. Mieux vaiait demeurer ainsi, en paix. De plus, j’appréhendais un autre danger : qui sait si ma femme ne serait point offusquée de cette visite à son autre image ? Ne la considérerait-elle pas comme un reproche à son attitude, à son caractère, et puisqu’elle m’avait guéri de mes anciennes souffrances, ne convenait-il pas, ne fût-ce que par gratitude, de lui épargner un déplaisir ?

Je raisonnais de la sorte, en parfaite sincérité, et je ne serais pas allé au musée, délibérément. Mais un jour où ma femme s’était montrés plus desobligeante encore que de coutume, le malheur voulut qu’un hasard me conduisit sous le portique du Louvre, et j’entrai.

Ah ! docteur, cette joie ! ce sourire, ces yeux, et ces seins nus ! Je la retrouvais toute, elle me rappelait, m’appelait, et nous crûmes nous rejoindre après une très longue absence. La passion recommençait, épanouie en fleur rouge, et qui donc songeait à s’en plaindre ?

Pourtant, le soir, je revins chez nous assez penaud, et ne sachant quelle attitude prendre.

L’œil du magistrat conjugal, l’œil d’épouse me regardait aller et venir dans la chambre, et réclamait une explication que je n’osais pas donner, car je la sentais, à l’avance, mal reçue et mal comprise.

Docteur, je vous fais juge. Étais-je coupable d’une infidélité ? Non. Alors, pourquoi m’accueilir ainsi ? Pourquoi, par cette sévérité injuste, me forcer au silence, qui est un mensonge, et introduire dans notre vie cette duplicité d’allures ? Quelque chose venait de se casser entre nous : l’intimité était rompue. À qui la faute ?

Le résultat, vous le devinez. Je ne dis rien, je ne contai rien, et, le lendemain, je retournai au Louvre.

Et j’y retournai tous les jours. Une existence nouvelle venait de commencer : puisque ma femme m’y obligeait, je m’étais résigné à la tromper avec elle.

EDMOND HARAUCOURT.