Page:Edmond Haraucourt Deux portraits 1900.djvu/6

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je la sentais plus pensive qu’heureuse. Je ne dirai pas que sa froideur m’inquiétait, mais j’aurais souhaité plus de communion entre nous, moins de réserve dans son regard ; je crus démêler qu’elle s’importunait de mes droits acquis sur elle, et qu’elle regrettait l’ancienne indépendance, qui la laissait plus mystérieuse et maîtresse.

Ainsi s’effectua notre voyage de noces, sous de fâcheux auspices, et la vie commune, la vie conjugale commença.

Ah ! comme on allait être bien, ensemble, tout seuls, délivrés des gardiens et des passants, de tous les importuns !

J’installai ma femme dans la chambre à coucher, sur le mur, à la gauche du lit. Je l’épiais, et je pensais voir qu’elle approuvait peu l’ordennance du mobilier. Je ne pouvais l’en blâmer, car le logis était modeste, et les meubles s’étaient rassemblés au hasard. Pour la satisfaire, je vendis un titre de rente, et fis venir un tapissier. Fut-elle sensible à mes intentions ? Elle ne le montra guère, du moins.

Quant à moi, j’étais fort heureux. Cette possession calme avait dissipé toutes les angoisses de la passion, et la nouvelle gravité de ma femme n’excitait plus en moi ces hantises de volupté dont j’avais tant souffert. Je l’aimais tendrement, et je m’efforçais de mon mieux lui agrémenter la vie.

Je n’y réussissais qu’à moitié. Nous avions de longues causeries intimes, mais j’étais seul à y prendre plaisir. Mes confidences émues, mes espoirs que je lui confiais, les récits amusants dont j’essayais de la distraire, tout montait vers elle et passait, sans pénétrer en elle. Elle écoutait avec patience, presque avec lassitude, et réfléchissait sans répondre. Je venais travailler près d’elle, et quand je relevais la tête, je rencontrais immanquablement son regard inquisiteur en surveillance sur moi, et j’avais beau lui sourire, elle ne souriait jamais plus.

Vous me direz qu’il était bien loisible à moi de retourner au Louvre, pour revoir sa belle gaieté. Je n’osais pas : J’avais peur de mon désir, qui me reprendrait là-bas, peut-être, pour me torturer