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— Mieux que moi, mon cher maître, vous savez que ce grand artiste, après avoir réuni une suite très importante de médailles et de monnaies françaises, a dressé d’après elles un système de chronologie tout différent du vôtre : or, ce classement nouveau ne tendrait à rien moins qu’au bouleversement total des notions actuellement professées par l’archéologie, en ce qui concerne la France et son histoire…

L’impatience du maître était considérable ; il n’essayait même pas de la dissimuler.

— Un classement ! s’écria-t-il : vous appelez ça un classement, et vous demandez mon opinion ? Elle est simple : Swyam est un ignare, et son système une niaiserie ! De quoi parle-t-il là, et de quoi se mêle-t-il, que sait-il, d’où sort-il ? Quelles études préalables sont les siennes, pour que, tout d’un coup, il s’arroge le droit de formuler une théorie et de présenter un système ? Ainsi, la forte instruction ne servirait de rien, et le moindre amateur, sans brevets et sans titres, s’improviserait notre juge, pour déclarer que nous marchons dans le hasard, sinon dans les ténèbres, sur un sol mouvant et changeant ? Les médailles, les dates ! C’est fort joli : mais, l’évaluation que cet ignorant attribue à des chiffres inconnus de lui plus encore que de nous, en est-il sûr ? Sa chronologie, quand commence-t-elle ? À la fondation de Rome, ou de Paris ? On néglige de nous révéler cela ! Pourquoi ? Parce qu’on n’en sait rien ! Eh, jeune homme, qu’un sculpteur grave des médailles, si bon lui semble, et que même il recueille une collection, si le jeu l’en amuse ! Mais qu’il laisse aux érudits le soin de classer ce qu’il aime et d’en tirer les conclusions qu’il n’est point apte à déduire !

L’auditoire partagea les opinions du maître sur ces artistes qui osent opiner en matière d’art ou histoire de l’art, comme s’ils étaient professionnels. Néanmoins, cette verte semonce avait provoqué quelque malaise, et, pour en distraire les esprits, un homme de tact proposa de souper.

Les drageoirs reparurent : on se les tendait avec civilité, chacun offrant à son voisin quelqu’une des pilules qu’il avait apportées, selon son tempérament propre et les besoins de son hygiène.