Page:Edmond Haraucourt Cinq mille ans 1904.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.

EN WAGON

En plein ciel, à cinq cents mètres de hauteur, l’aérotram filait vers le couchant ; les touristes océaniens qui, le 18 juillet 6983, étaient venus visiter les ruines de Paris, un peu las de cette journée au grand air, s’installaient de leur mieux dans les quatre wagons, et calaient leurs reins dans les fauteuils. Une température tiède, après la brise de mer, la souplesse du train après le cahot des barques, le confort des sièges après la dureté des bancs et la fatigue de la marche leur plaisaient. En cette volupté physique, qui couronnait si bien une journée si belle, ils échangeaient des propos dénués de valeur, mais aimables : « Charmante excursion. — Tout à fait instructive. — Très intéressants, ces Parisiens. — Comme tout passe ! »

Un loustic, trop joyeux du retour, chantait :

Ah ! fuyons ces lieux,
Où l’on se fait vieux !…

Cependant, les voyageur qui se trouvaient dans le compartiment du professeur rivalisaient d’éloges sur sa leçon d’archéologie. Le maître, qui précisément était assis en face du poète, voulut bien témoigner qu’il était sans rancune, et, en souriant, il adressa la parole à ce déserteur de son cours.

— De grâce. Expliquez-moi une chose, monsieur : puisque le Montmartrois ne vous a point assommé en vous surprenant avec sa femme, quel besoin avait-il de revenir si vite, en apprenant votre… votre incartade ?

— Le besoin, je pense, de profiter, en me vendant ceci, et d’ailleurs assez cher.

Le poète tira de sa poche une poignée de sous, rongés d’oxyde, et mince. L’homme de science daigna prendre ce billon, que, du bout du médius, il éparpillait dans le creux de sa paume ; alors il proféra, non sans dédain :

— Oui, des pièces de France : on en trouve même chez nous, ce qui tend à prouver que notre pays fut autrefois une colonie de ce peuple.