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Elle est à la fois et plus simple, et plus sage, plus haute aussi. Les chrétiens furent des idolâtres qui adoraient des figures de pierre ou de bois peint, mais ces figures représentaient des idées ; leur culte comportait un polythéisme innombrable : les dieux et les déesses y sont représentés avec des attributs dont nous ignorons le sens, et qui, le plus ordinairement, étaient l’épée, la clef, le livre, la croix, une tour ou un lézard, un crâne, un linge, une tête coupée. Mais au-dessus de tout, mesdames, ils adoraient le principe féminin, représenté à l’infini, sur tous les murs et dans tous les coins de leurs temples, par l’image d’une femme jeune, qui porte ou allaite un enfant, symbole de la fécondité. En cette déesse, dressée sur tant d’autels et préséante à tout, on ne peut hésiter à reconnaître une transformation de Vénus et d’Isis ; son nom d’ailleurs, prouve sa parenté, ses origines helléniques : elle est le Chreiston, ce qu’il y a de meilleur, et elle donne son nom à l’ensemble des mythes auxquels elle préside, à la religion tout entière ; elle est le Christ, principe de vie : en face d’elle et contre elle s’érige logiquement le principe de mort, représenté, avec une égale fréquence, par un défunt suspendu à une croix, souvent même par une simple croix.

Toutes les tombes de la première et de la deuxième époque sont décorées de cet emblème, et il orne le seuil de toute nécropole. Son caractère funèbre est donc indiscutable, même en l’absence d’un cadavre sculpté, et les deux symboles s’expliquent l’un par l’autre : en face de la Fécondité, la Mort, et voilà, dans une formule sculpturale, l’éternelle antithèse, naître et mourir, les deux formes du perpétuel devenir, les deux générateurs de l’existence universelle, le double principe de la rénovation constante. Mais pourquoi cet étrange trépas et cette croix ? La science s’est longtemps perdue en conjectures. Enfin la signification de ce détail typique nous est révélée par une découverte récente : deux fresques trouvées dans les fouilles de Naples représentent deux personnages qui, à n’en pas douter, s’identifient avec le Crucifié ; l’un est debout, contre une colonne ; sa tête qui saigne est ceinte de ronces, et une inscription le commente : « Ecce Homo, c’est l’Homme ! » Nous voilà renseignés ; l’allégorie va s’éclairer davantage devant la seconde peinture : sur celle-là, l’Homme chemine en portant une croix, sa croix, par laquelle il mourra tantôt. Nous comprenons tout maintenant : la créature traîne durant sa