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L’Europe souffrit, en son temps, du mal qui nous tue aujourd’hui, et sans doute les sociologues de la décadence chrétienne durent s’inquiéter comme les nôtres d’une dépopulation que rien ne pouvait conjurer, car elle était d’ordre physiologique, alors que peut-être on en cherchait les causes dans l’ordre économique. Pour cette raison, nous allons voir que Paris devait disparaître avant les autres cités de l’Europe, et que cette métropole, pour la même raison, fut et devait être, préalablement à toutes les autres et plus que toutes les autres, florissante, joyeuse, charmante, avant de mourir, et qu’elle mourut gaiement, sans le savoir, sans l’avoir prévu, avec toute la race qui peuplait son royaume. Elle périt d’être un centre. Paris et la France ou Gaule siégeaient au carrefour, à la croix de l’Europe, et sur le chemin du soleil : toutes les migrations passaient par là, celles de l’Orient et du centre dans leur ruée normale vers l’Occident, celles du Midi pour monter vers le Nord, celles du Nord pour rouler sur le Midi. Militairement avec des armées ou des hordes, commercialement avec des produits ou des convoyeurs de produits, tous les peuples la traversaient, et successivement elle connut les invasions belliqueuses ou pacifiques du Romain et du Germain, du Scandinave ou de l’Anglais, de l’Africain ou du Cosaque, le Danube et l’Oural ; chacun y laissait son empreinte, son sang. Que nous sachions peu de chose sur l’histoire de ces constantes incursions, il n’importe : à défaut de documents historiques pour nous éclairer sur les faits et leurs dates, nous avons du moins la logique, qui donne à l’hypothèse la valeur d’une certitude : le seul examen de la carte démontre que nulle famille humaine ne fut et ne put être aussi mêlée que celle-là, et moins homogène. Cette constatation en va provoquer d’autres, d’une logique analogue, car nous devons conclure que des atavismes divers avaient engendré dans ce peuple des aspirations diverses, et que la multiplicité des éléments psychiques y occasionnait le perpétuel contact de besoins incompatibles, de tendances contradictoires, un désaccord incessant dans les principes et dans