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Messieurs, cette fin d’un monde n’est intéressante pour nous que comme la conclusion nécessaire et fatale qui se manifeste à son heure, et qu’on doit noter simplement pour clore le chapitre, sans s’y arrêter plus qu’il ne convient et qu’elle ne mérite.

Nous passerons donc. L’époque efficacement vivante est celle de l’effort, et l’effort de ce peuple semble avoir duré deux mille ans. Un chiffre si considérable ne doit pas nous étonner outre mesure : les nations d’alors subsistaient plus longtemps que les nôtres : les races humaines, plus nettement délimitées qu’elles ne sont aujourd’hui, jouissaient encore d’une résistance vitale que les métissages ultérieurs allaient notablement diminuer : car c’est une loi physiologique que les croisements d’espèces, aussi bien dans le règne animal ou végétal que dans l’humanité elle-même, donnent par sélection des produits ingénieux, affinés, raffinés, mais qui sont délicats dans les deux sens du mot, par leur fragilité autant que par leur grâce, et qui doublement sont des produits suprêmes, suprêmes puisque rien ne les dépasse en beauté, et suprêmes puisqu’ils sont la dernière fleur de la race. Fleurs sans fruits ! Leur éphémère splendeur est un total, une fin : les races meurent en beauté, mais cette beauté n’est qu’une décadence, puisque l’anémie reproductrice est leur caractéristique essentielle ; les peuples qui se mâtinent touchent à leur apogée et sont en même temps à la veille de leur trépas. C’est pourquoi nous voyons, messieurs, l’histoire des temps présents accélérer sa marche, d’autant plus hâtive que la promiscuité des hommes est plus grande, et c’est pourquoi maintenant un siècle ou deux suffisent à déplacer les suprématies nationales dont l’évolution exigeait dix ou vingt siècles dans un âge où les peuples, divisés en royaumes et enfermés par des frontières, ignoraient la rapidité, commode mais humanicide, généricide, des communications modernes.