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L’AGONIE

Le professeur s’avança gravement jusqu’au bord du parapet, et tendit la main dans la direction du golfe ; l’auditoire groupé sur le terre-plein du phare se rapprocha pour mieux entendre.

— Messieurs, Paris se dressait là, mais sur ces terres en dépression la mer se rapprocha, remontant en quelque sorte le cours du fleuve séquanien : et la capitale qui florissait, il y a cinq mille ans, au milieu de provinces fertiles, à deux cents kilomètres de l’Atlantique, vit peu à peu monter ces marées séculaires qui devaient l’engloutir, et fut un port de mer avant de s’affaisser définitivement sous les eaux bleues qui la recouvrent.

Cette dernière phase de la vie parisienne n’est point celle qui nous occupera : la grandeur morale du pays et son importance historique s’étaient déjà singulièrement amoindries quand la cité continentale devint une cité maritime : alors, déjà, la prépondérance mondiale était passée sur l’autre face du globe, et, de l’Europe délaissée, vieillie, diminuée, qui avait fait son temps d’histoire, les progrès de la civilisation avaient transporté la régence des affaires sur le continent septentrional de la jeune Amérique. On pourrait donc, en quelque sorte, considérer que l’ère du Yelloo, qui succédait à l’ère chrétienne et qui précédait la nôtre, correspondit sensiblement à l’époque où Paris, déchu de sa grandeur ancienne, devenait un port à peine achalandé, station balnéaire ou havre de pêcheurs bien plus que de transit, entrepôt qui desservait à peine quelques misérables contrées sans commerce et sans industrie, encore fécondes en fruits, mais stériles en hommes : car, en arrière de Paris, toute l’Europe chrétienne était la race exténuée qui, lasse d’avoir fourni son contingent d’histoire, s’éteignait sans plus donner rien.