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CONTES DU « JOURNAL »

LA DÉCOUVERTE
DU DOCTEUR AUGUÉRAND
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Cette affaire traînait. On n’en parlait plus guère que pour en rire, et même les milieux scientifiques persistaient seuls à y trouver la matière de quelque plaisanterie ; quant aux journaux, ils n’en disaient plus rien, considérant le sujet comme épuisé et monotone ; les gens du monde, après s’être passionnés pour ou contre, imitaient l’indifférence de la presse, et le bluff du professeur Patrice Auguérand se classait peu à peu dans la catégorie des trop vieilles légendes.

En effet, dix-neuf ans déjà s’étaient passés depuis le gros tapage provoqué par sa découverte : cet élixir de longue vie qu’il prétendait avoir trouvé, en 1922, n’avait encore, que l’on sût, immortalisé personne en 1941, et le docteur Auguérand lui-même n’en retirait que des ennuis assez nombreux et un ridicule très notoire. On regrettait communément qu’un homme de telle valeur eût compromis la gloire de sa carrière par une fantaisie trop indigne de lui, de son caractère, de ses travaux antérieurs. Qu’il eût cédé ainsi à la tentation des réclames faciles et jeté son nom à la rue, on ne le comprenait pas : sa haute situation dans la science, et sa fortune considérable, et son goût avéré pour les joies recueillies auraient dû raisonnablement le tenir à l’abri d’une semblable aventure, qui ne s’expliquait ni par un besoin d’argent ni par un appétit de popularité. Mais quoi ? Les hommes les plus graves ont de ces défaillances. M. Auguérand avait d’ailleurs payé la sienne, et l’avait payée cher : très vite, son heure de célébrité retentissante avait été suivie de la dérision universelle ; dans la poussée des railleries, et voire des huées, il avait dû tour à tour abandonner ses charges, d’abord son fauteuil de doyen, et bientôt sa chaire d’histologie ; presque en même temps, il avait renoncé à sa clientèle, qui peut-être renonçait à lui, et pas une fois en dix-huit années on ne l’avait revu aux séances de l’Académie de médecine ou à celles de l’Institut.

— Il boude, disaient les uns.

— Il a honte, disaient les autres.

Et tout le monde disait : « Il a tort. »