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« Auguérand parle, expose son système. Je ne prolonge pas la vie humaine, dit-il. L’expression est inexacte, antiscientifique au premier chef : je n’ai jamais tenu un tel propos. C’est folie de prétendre qu’on puisse réformer les lois de la nature ; par cela seul qu’elles sont lois, il faut les reconnaître fixes, logiques, immuables ; la science ne doit aspirer qu’à les comprendre, à pénétrer le secret de leur fonctionnement, si longtemps mystérieux, et à découvrir les conditions du meilleur rendement. »

La rue salua par une bordée de sifflets ce préambule, qui, tout de suite, annonçait la défaite totale : dès le début, la faillite Auguérand se proclamait définitive ; les égoïstes espoirs du monde, ressuscités depuis une semaine, venaient de s’effondrer pour la seconde fois. À Berlin, à New-York, la consternation fut profonde : instantanément, les cotes baissèrent à la Bourse du matin. Mais à Paris et à Londres un éclat de rire couvrit le désappointement.

Le professeur Auguérand continuait :

— La vie est une perpétuelle résistance à la mort. Mais, en un très grand nombre d’espèces animales, les individus, cédant aux sollicitations de l’instinct qu’ils dépravent, ont mis progressivement la race en état de moindre résistance ; ainsi l’on peut dire qu’ils ont volontairement restreint la durée de la vie, puisque cette diminution de durée est la conséquence médiate de l’usure consentie par eux. La mort est un total de millions et de millions de morts partielles, successives, que les êtres acceptent ou s’imposent sans y prendre garde : très peu d’animaux vivent leur temps normal ; l’homme est entre tous, avec une prééminence très marquée, celui qui se détériore le plus et le plus vite. Pourquoi ? Parce qu’il abuse de ses forces plus que les autres. Le confort et la relative sécurité de son existence matérielle ont pu à la rigueur compenser relativement le préjudice qu’il se cause par une excessive dépense ; mais cette atténuation du mal, purement négative, est incapable de