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Le voyage fut banal. Au Havre, les employés de la Compagnie, sur les quais et sous les portes, discutaient le crime ; des commissionnaires donnaient des arguments et des preuves à d’autres commissionnaires qui hochaient du nez. La place de la gare était en émoi, plantée de groupes insolites, et partout on expliquait le drame. Parmi tous ces électeurs qui renseignaient leurs semblables, moi seul, qui ne disais rien, aurais pu dire quelque chose : cela me plaisait à penser.

Tout à coup, les groupes s’agitèrent : les magistrats descendaient de voiture. Je devinai le procureur : brun, vétu de noir, le visage pâle et terne, fixant à terre un regard de gentleman qui joue aux échecs, il marchait avec importance et certitude. Celui-là était l’ennemi ! Il me cherchait ! Lorsqu’il passa devant moi, je saluai. Il reçut cet hommage avec dignité, rendit le salut et s’éloigna. Ah ! s’il avait su ! Je tentai de le suivre, mais des agents s’y opposèrent et je m’en fus déjeuner.

— À retenir : je dirai plus tard, dans ma défense, que j’ai voulu parler au procureur et que l’on m’en a empêché. — Enfantin ! J’aurais dû insister. Passons.

J’avais un rendez-vous d’affaire : je pris grand soin d’y être exact et calme. Ensuite, pour attendre les journaux du soir, je m’intéressai aux mouvements du port. Je rôdais volontiers aux alentours du commissariat : les journalistes du Havre et de Paris se pressaient là, et je crus devoir me joindre à eux. Un jeune reporter, avec qui j’avais soupé autrefois, me reconnut, et ma présence devint plus naturelle.

Le commissaire parut : mon cœur battait fort.

— Messieurs, dit-il, tout ce que je puis vous dévoiler, c’est que nous sommes en présence d’un assassinat.

Il respira majestueusement, et je compris l’urgence de crayonner, moi aussi, quelques notes rapides.

Il reprit :

— Il faut écarter toute hypothèse de suicide ; en effet, on n’a retrouvé, auprès du cadavre, aucune arme. Le mobile du crime semble avoir été le vol, car les poches de la victime, où l’on a relevé des traces de sang, ont été fouillées et vidées par l’assassin. Le meurtre fut vraisemblablement commis entre Mantes et Beuzeville, où le coupable est descendu.

Oh ! la bonne émotion. Mes genoux tremblaient déjà…