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L’ancien marin vivait là en véritable sybarite, ayant pour compagne sa pipe et pour ami — c’est le titre qu’il se plaisait à lui donner — l’un des vins en renom du pays, un vin légèrement mousseux, ambré, projetant des flammes d’or à travers le cristal des verres taillés en gobelets et hauts comme des widercomes.

Sous des dehors de grande rudesse, l’ex-officier cachait d’ailleurs la plus droite et la plus serviable nature.

Les paysans, dont plus d’un avait eu recours à lui pour un fils au service, une plainte ou une demande à appuyer, un secours, les paysans ne prononçaient jamais son nom qu’avec ce ton grave et ces hochements de tête qui marquent dans leur pensée le plus haut degré d’attachement et d’estime. D’excellentes terres dont il partageait les produits avec ses fermiers achevaient d’assurer au commandant cette estime dont il jouissait non seulement dans la commune, mais dans le canton tout entier.

Or, ce canton — celui de Saint-Yvan — était l’un des plus procéduriers de France.

L’esprit de chicane y était développé au point qu’à vingt lieues à la ronde nul paysan n’eût consenti à passer avec un Saint-Yvanais un marché, si petit fût-il, sans l’intervention d’un homme de loi.