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sais bien la manière bizarre de ses caresses. C’était lui. Je sentis comme un torrent de sang se ruer vers mes tempes, — comme une sensation vertigineuse, écrasante, de délivrance et de ressuscitation. Je me dressai précipitamment sur le matelas de mon agonie, et, me jetant au cou de mon fidèle compagnon et ami, je soulageai la longue oppression de mon cœur par un flot de larmes des plus passionnées.

Comme dans une circonstance précédente, mon cerveau, quand j’eus quitté mon matelas, se trouvait dans une singulière confusion, dans un parfait désordre. Pendant assez longtemps, il me sembla presque impossible de lier deux idées ; mais, lentement et graduellement, la faculté de penser me revint, et je me rappelai enfin les différentes circonstances de ma situation. Quant à la présence de Tigre, je m’efforçai en vain de me l’expliquer, et, après m’être perdu en mille conjectures diverses à son sujet, je me réjouis simplement, et sans plus de recherches, de ce qu’il était venu partager ma lugubre solitude et me réconforter de ses caresses. Bien des gens aiment leurs chiens ; mais moi, j’avais pour Tigre une affection beaucoup plus ardente que l’affection commune, et jamais sans doute aucune créature ne la mérita mieux. Pendant sept ans il avait été mon inséparable compagnon, et, dans une multitude de cas, il m’avait donné la preuve de toutes les nobles qualités qui nous font estimer l’animal. Je l’avais arraché, quand il était tout petit, des griffes d’un méchant polisson de Nantucket qui le traînait à l’eau avec une corde au cou ; et le chien, devenu grand, m’avait