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provision d’eau. Pendant que je m’occupais de cette idée, je tombai, malgré toute ma résistance, dans un profond sommeil ou plutôt dans une espèce de torpeur. Mes rêves étaient de la nature la plus terrible. Tous les genres de calamité et d’horreur s’abattirent sur moi. Entre autres misères, je me sentais étouffé jusqu’à la mort, sous d’énormes oreillers, par des démons de l’aspect le plus sinistre et le plus féroce. D’immenses serpents me tenaient dans leurs étreintes et me regardaient ardemment au visage avec des yeux affreusement brillants. Et puis des déserts sans limite et du caractère le plus désespéré, le plus chargé d’effroi, se projetaient devant moi. De gigantesques troncs d’arbres grisâtres, sans feuilles, se dressaient, comme une procession sans fin, aussi loin que mon œil pouvait atteindre. Leurs racines étaient noyées dans d’immenses marécages dont les eaux s’étalaient au loin, affreusement noires, sinistres et terribles dans leur immobilité. Et les étranges arbres semblaient doués d’une vitalité humaine, et, agitant çà et là leurs bras de squelette, demandaient grâce aux eaux silencieuses et criaient miséricorde avec l’accent vibrant, perçant, du désespoir et de l’agonie la plus aiguë. Et puis la scène changeait, et je me trouvais debout, nu et seul, dans les sables brûlants du Sahara. À mes pieds gisait, blotti et ramassé, un lion féroce des tropiques. Soudainement ses yeux effarés s’ouvraient et tombaient sur moi. D’un bond convulsif il se dressait sur ses pieds et il découvrait l’horrible rangée de ses dents. Aussitôt, de son rouge gosier jaillissait un rugissement semblable au tonnerre du firmament, et je me jetais impétueusement à terre. Suffoqué par le paroxysme