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guère qu’une heure après avoir été pris à bord du Pingouin qu’il eut pleinement conscience de sa situation. En ce qui me concerne, je fus tiré d’un état très-voisin de la mort (et seulement après trois heures et demie, pendant lesquelles tous les moyens furent employés) par de vigoureuses frictions de flanelle trempée dans l’huile chaude, — procédé qui fut suggéré par Auguste. La blessure de mon cou, quoique d’une assez affreuse apparence, n’avait pas une grande gravité, et j’en guéris bien vite.

Le Pingouin entra au port à neuf heures du matin, après avoir eu à lutter contre une des brises les plus carabinées qui aient jamais soufflé au large de Nantucket. Auguste et moi, nous nous arrangeâmes pour paraître chez M. Barnard à l’heure du déjeuner, — qui, heureusement, se trouvait un peu retardée à cause de la soirée précédente. Je suppose que toutes les personnes présentes à table étaient trop fatiguées elles-mêmes pour remarquer notre physionomie harassée, — car il n’eût pas fallu une bien grande attention pour s’en apercevoir. D’ailleurs les écoliers sont capables d’accomplir des miracles en fait de tromperie, et je ne crois pas qu’il soit venu à l’esprit d’un seul de nos amis de Nantucket que la terrible histoire que racontèrent en ville quelques marins : — qu’ils avaient coulé un navire en mer et noyé trente ou quarante pauvres diables, — pût avoir trait à l’Ariel, à mon camarade ou à moi. Lui et moi, nous avons depuis lors causé plus d’une fois de l’aventure, — mais jamais sans un frisson. Dans une de nos conversations, Auguste me confessa franchement que de toute sa vie il n’avait jamais éprouvé une si atroce sensation d’effroi que quand, sur notre petit ba-