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naturalistes, ont, à mon grand regret, exposés publiquement en lettres d’or[1]. »

Sur le grand mathématicien Lagrange, dont il exalte l’excellent caractère, il a dit : « C’était un homme bon, et, précisément par ce motif, il était grand. Car si un homme bon est doué de talent, il travaillera toujours pour le salut du monde, qu’il soit artiste, naturaliste, poëte ou n’importe quoi. — Vous avez hier, à dîner, fait une connaissance plus intime de Coudray, et j’en suis con-

  1. Cette poésie nouvelle est intitulée Testament. Elle résume, en effet, dans sept strophes, plusieurs grands principes que Goethe considérait dans sa vieillesse comme l’essence de ses méditations et de son expérience. Son importance nous autorise à l’insérer ici, malgré son étendue :

    « I. Aucun être ne peut tomber dans le néant !… L’essence éternelle vit et agit toujours dans tous les êtres ; attache-toi donc à l’existence avec bonheur ! L’existence est éternelle ; car des lois protègent les trésors vivants dont se pare l’univers ! — II. Le vrai a été trouvé depuis longtemps ; il a réuni à lui toute la suite entière des nobles esprits. Embrasse donc l’antique vérité ! Fils de la terre, rends des actions de grâces au sage qui lui a tracé son cercle autour du soleil et qui prescrit sa route à la sœur du soleil ! — III. Tourne ensuite ton regard vers toi-même : dans les profondeurs de ton être intime, tu trouveras un guide auquel tout noble esprit se confie sans réserves. Aucune règle ne peut là te manquer, car la conscience libre est le soleil de ton jour moral. — IV. Les sens sont aussi un guide pour toi ; si ton intelligence se tient éveillée, ils ne te montreront pas d’erreurs. D’un vif regard observe avec joie, et d’un pas assuré et modeste marche à travers les plaines de ce monde comblé de riches dons. — V. Que ta jouissance soit modérée dans l’abondance et la bénédiction ; que la raison soit toujours là, quand la vie jouit de la vie. C’est ainsi que le passé cesse d’être éphémère, ainsi l’avenir est d’avance vivant en nous ; ainsi le moment présent est l’éternité. — VI. Et quand tu seras ainsi formé, quand tu seras pénétré de cette vérité : « Il n’y a de vrai, de vraiment existant pour toi que ce qui rend « ton esprit fécond, » alors observe le cours général du monde, et, le laissant suivre sa route, associe-toi à la minorité. — VII. Dans tous les temps, ce que le philosophe, le poëte a préféré, c’est travailler en silence aux créations de son esprit ; ce sera là ton sort, le plus enviable de tous ; tu jouiras par avance des sentiments qui doivent remplir un jour les plus nobles âmes. »