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tout à fait indépendante. C’est vers elle que se tourne l’humanité quand elle se sent faible ou souffrante ; en lui reconnaissant ce caractère, on la tient élevée au-dessus de toute philosophie, et tout appui lui est inutile. — Mais, en revanche, la philosophie n’a pas besoin de prendre l’apparence de la religion pour établir une doctrine, par exemple la doctrine de l’immortalité. L’homme doit croire à l’immortalité, il en a le droit ; c’est une croyance qui lui est naturelle ; et il peut l’appuyer sur des traditions religieuses, mais si le philosophe veut tirer la preuve de l’immortalité de notre âme d’une légende, il emploie un moyen bien faible et vraiment dépourvu de sens. — La conviction de notre immortalité sort pour moi de l’idée d’activité ; car si jusqu’à ma fin j’agis sans repos, la nature est obligée de me donner une autre forme d’existence, lorsque celle que j’ai maintenant ne pourra plus retenir mon esprit. »

Pendant ces paroles mon cœur battait d’admiration et d’amour. — « Y a-t-il, me disais-je, une doctrine qui excite plus que celle-ci aux nobles actions ? Qui ne voudra jusqu’à sa fin agir sans repos, s’il trouve dans son activité même la garantie d’une vie éternelle ? »

Goethe fit apporter un portefeuille rempli de dessins à la main et de gravures. Après avoir examiné et tourné plusieurs feuilles, il me tendit une belle gravure d’après un tableau à l’huile de Van Ostade. « Voici, me dit-il, une scène pour notre Good man and good wife[1]. » Je considérai cette gravure avec grand plaisir : elle représentait l’intérieur d’une maison de paysan ; une seule chambre sert de cuisine, de salle d’habitation et de

  1. Poésie écossaise repensée en allemand par Goethe.